L’Homme, cet animal social
Sur tous les continents, dans toutes les sociétés humaines, et depuis des âges très reculés, s’asseoir en cercle, prendre le prétexte de partager la pipe, un thé ou des mets, fêter le passage à l’âge adulte des uns, les unions ou naissances des autres, permet à chacun de s’investir dans la vie du groupe, de tisser la trame qui lit les êtres.
Participer à un groupe humain a sans doute été motivé aux origines par la survie des individus, mais a également façonné notre identité d’animal social. A moins qu’il ne fasse partie intégrante de notre identité, comme une donnée génétique. Quoi qu’il en soit, le salut des premiers Hommes tenait à leur intelligence et au fait qu’ils vivaient en groupe plutôt qu’isolés : la mutualisation des efforts et des ressources leur a permis d’organiser leur survie.
Vous verriez-vous élever vos moutons, filer votre laine, tricoter vos pulls, cultiver activement votre terre pour assurer votre pitance, en plus de votre travail ? La réponse est probablement non. En se penchant sur des objets du quotidien, on se rend compte à quel point ce qui nous entoure est produit ailleurs, par d’autres. Il en va de même pour notre nourriture, et finalement pour tout ce qui sous-tend notre mode de vie. Notre vie est de ce fait profondément intriquée dans celle des autres.
Une forme d’autonomie ne serait envisageable que si nous renoncions à une (grande) partie de notre confort. Mais ce n’est pas la voie que l’humanité a choisie, en tout cas pour l'heure.
La croissance de l’Humanité a fait d’une simple répartition des tâches permettant d’optimiser les efforts de groupes archaïques un édifice rigide dont la solidité est étayée par les contraintes mutuellement contractées. Et le moteur de cette Humanité était tout à fait légitime : amélioration des conditions de vie, progrès médicaux, organisation et optimisation des échanges commerciaux et politiques, définition de statuts individuels puis de groupes, jusqu’à la naissance des états.
En vivant dans cette société complexe et cristallisée sur ses bases, nous avons tous tacitement accepté une forme de pacte, qui nous dégage de certaines tâches, pour nous consacrer à d’autres. Nous nous sommes tous, individuellement, spécialisés ! C‘est, sans cynisme, ce sur quoi repose le progrès. Et c’est ce qu’on appelle le contrat social : “une convention tacite et librement consentie entre les membres du corps social, entre les gouvernés et les gouvernants, entre l'individu et l'Etat. Cette convention permet aux hommes de coexister pacifiquement. Elle est le fondement de la vie du corps social en instaurant un Etat civil qui succède à l'état de nature” (1).
L’Homme, cet animal devenu solitaire
Cette recherche désespérée de sécurité et de confort, qui a vu les premiers Hommes apprivoiser le feu, passer d’un mode de vie “chasseur-cueilleur” à celui d’agriculteur, n’était pas synonyme d’isolement.
Dans certains pays où les conditions sont moins favorables qu’ici, les habitants fêtent les victoires sportives autour du seul poste de télévision disponible ; on se réunit chez celui qui vit sous le lampadaire ou qui a la lumière chez lui.
En Europe, pendant très longtemps, et jusqu’à ce que l’eau courante arrive au sein des foyers, les places étaient des lieux de vie et de socialisation, car c’est là qu’on trouvait de les fontaines, et donc l’eau. On discutait avec les anciens, les plus jeunes jouaient sous le regard de tous. Mais il est devenu tellement simple de répondre à nos besoins primaires, que nous nous sommes graduellement éloignés les uns des autres.
Qu’en est-il pour nos relations sociales ? Interrogeons-nous sur nos habitudes.
Certains de nos aînés témoignent que dans leur jeunesse ou leur enfance, on prenait l’air après repas, on sortait faire un tour et discuter avec les voisins, car il n’y avait rien d’autre à faire. Et puis la télévision est arrivée, et chacun a pris le pli de rester chez soi.
Nous préférons le confort de notre salon, la passivité (souvent ressentie comme nécessaire après une longue journée) au contact bruyant, et parfois inconfortable, des autres. Nous profitons du samedi et du dimanche pour dormir car nous sommes épuisés après une semaine de travail. Et si nous trouvons la force de fréquenter les autres, il n’est pas rare que nous fassions ce choix en rognant sur notre repos. Finalement, avoir une vie sociale n’est plus la règle, mais un effort consenti. Et souvent de moins en moins consenti lorsque les conditions ne sont plus réunies (travail précaire, naissance des enfants, parents dépendants, épidémie et mesures sanitaires…)
Le contrat social a englouti notre liberté, car nous avons préféré le confort matériel au temps libre. Et faute de temps, notre disponibilité et nos liens sociaux se sont resserrés sur le noyau familial. Nous fréquentons moins de monde, nous sommes moins curieux des autres, car nous ne sommes pas certains de pouvoir investir notre énergie et notre temps dans de nouvelles relations.
Faut-il retisser des liens ?
Moins de temps, plus de contraintes, moins de liens humains. Faut-il conclure que nous y sommes perdants ? Car enfin, nous avons fait ce choix et semblons bien les supporter. Enfin, peut-être.
Dans mon article précédent intitulé “Contexte, réflexions... Et naissance d’un cercle de parole“, je citais des sources montrant, dans ce contexte de pandémie et d’isolement social sans précédent, à quel point la santé mentale des européens s’était dégradée.
En cause, la pression accrue impactant les individus, leur demandant sans cesse plus de résilience. Mais quels sont les fondements de cette résilience, si ce n’est notre équilibre intérieur ? Une vie riche, qui nous apporte tant que nous pouvons encaisser ? Comment définir cette richesse ? Est-elle de nature matérielle ? de nature sanitaire ? Ou de nature humaine, sociale, familiale ?
A mon sens, cette question revient à définir ce qu’est l’Homme.
Dans son article “Le lien social est un besoin vital“(2), écrit par Barbara Nativel, on trouve la réponse apportée par les scientifiques : “Cet ouvrage du neuroscientifique Matthew Lieberman de l’Université de Californie-Los Angeles, « Social: Why Our Brains Are Wired to Connect » explique pourquoi le lien social est devenu un besoin humain fondamental au même titre qu’un abri, de l’eau et de la nourriture. Ce n’est pas un simple constat mais le résultat de l’examen de plus de 1.000 études portant sur les transformations de notre cerveau au cours de 250 millions d’années d'évolution qui font, écrit l’auteur, qu’aujourd'hui nous ne sommes pas seulement plus connectés mais « plus dépendants du monde social ». Un nombre croissant de recherches montrent la nécessité de la relation sociale pour la santé, physique comme psychologique. Cet ouvrage a passé en revue plus de 1000 études qui aboutissent à la conclusion que l’Homme est devenu, au fil du temps, de plus en plus socialement connecté au point d’être devenu dépendant du lien social. « Les mammifères sont socialement plus connectés que les reptiles, les primates plus que les autres mammifères et les humains plus que les primates. Le lien social est devenu essentiel à notre survie. L'évolution a induit que la meilleure façon de nous rendre plus efficace consiste à nous rendre plus social ». Ces conclusions sont également issues des recherches menées par l’équipe de l’auteur par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) montrant que les mécanismes neuronaux font de nous des êtres profondément sociaux. Les expériences de rejet social ou de perte sociale entraînent de la douleur « dans le cerveau ». La transmission des idées à l’autre est une des conditions des changements sociétaux.”
Il me semble dès lors évident que pour conserver notre intégrité physique, morale, mentale, nous devons chercher à enrichir nos liens, en tisser de nouveaux, non en nombre, mais en qualité remarquable. Pour cela, nous devons provoquer les opportunités de faire ces rencontres avec des personnes ayant un degré élevé de conscience de cet enjeu de vie et de société.
Tisser le lien vers l’autre
Dans notre monde d’agitation et de responsabilités, on vit parfois très seul et sans possibilité d’exprimer ce que l’on pense, ressent ou vit, puisque nos relations dans les sphères professionnelles ou intra-familiales sont souvent réduites à leurs aspects fonctionnels, par souci d’économie d’énergie.
Pour peu que notre famille soit éloignée géographiquement, nos amis peu disponibles, ou notre travail trop prenant, nous finissons par avoir de moins en moins de liens sociaux, et notre intériorité s’en trouve à la fois asséchée car coupée des autres, et encombrée de tout ce que nous aurions intérêt à exprimer.
C’est ce constat récurrent et désarmant de l’appauvrissement de la vie sociale des individus causé par la situation sanitaire qui a motivé la création de mon cercle de parole.
Restaurer sa capacité à former des liens
Il est déjà parfois difficile d'exprimer ce que nous ressentons quand nous sommes à l’aise avec nos émotions. Ça l'est déjà moins quand nous y voyons trouble dans nos états d’âme. Alors quand le quotidien rime avec solitude et stress, et que nous prenons le pli de nous renfermer sur nous-même, nous courons au Burn-out. Car mettre en sourdine durablement nos émotions ne permet nullement de les faire disparaître. Elles finissent par s’accumuler en nous, et le mal-être s’installe durablement, puis prend des proportions qui finissent par nous dépasser totalement. C’est alors notre corps qui trinque et sonne l’alarme.
Afin de ne pas en venir là, nous avons la responsabilité individuelle de faire de notre mieux quelles que soient les circonstances. Lorsque les conditions ne sont plus réunies, nous nous devons de prendre le recul nécessaire pour faire le point sur ce qui achoppe en nous.
C’est un travail qu’il est difficile de faire seul. Et qui dit travail difficile, dit travail souvent remis à plus tard.
Par ailleurs, ce travail peut se faire si les circonstances s’y prêtent, c'est-à-dire, si nous saisissons les opportunités qui se présentent à nous.
Mais quelles opportunités avons-nous eu dernièrement de formuler sincèrement et pleinement nos états d’âmes ? Quand avons-nous pu dérouler notre pensée, nos doutes ? Quand a-t-on confié notre détresse, été accueilli dans notre sidération, été consolé de la douleur ressentie ? Pour la plupart d’entre nous, la dernière occasion remonte à des mois, voire des années. Nous vivons comme des automates, coincés dans nos rythmes de vie, sans porte ni fenêtre pour prendre l’inspiration salvatrice, celle qui nous permet de nous rendre compte de ce que nous vivons, de la pertinence (ou non) de nos choix. Nous manquons de recul.
Toutes opportunités qui se présentent à nous si nous côtoyons les autres, et notamment dans un contexte détendu et libre où chacun peut s'exprimer. C'est de là qu'est née mon envie de créer ce groupe de parole.
Bénéfices et responsabilités au sein du cercle de parole
Le cercle de parole que j’anime est centré sur les émotions et le vécu, contrairement à ce que pourrait laisser penser cet article.
Participer à un cercle de parole, c’est être disponible à l’autre, avec attention et compassion, écouter ses expériences et les accueillir, y répondre par sa propre histoire, enrichir la connaissance de chacun de ce que la vie peut offrir en termes de diversité d’expériences. C’est expérimenter la tolérance, pratiquer la bienveillance et le non-jugement. C’est demander ce dont nous avons besoin, et donner ce que nous pouvons donner.
C’est aussi l’assurance de recevoir des autres cette disponibilité, cette écoute, cette compassion, cet accueil, cette tolérance, cette bienveillance et ce non-jugement, que nous avons offert à ceux qui ont parlé, et reçu, avant nous. Chacun participe à la responsabilité collective du bien-être individuel. Étant entendu que ce qui se dit au cercle de parole est confidentiel.
Le 1er cercle se tiendra le vendredi 4 février à 19h30.
Gratuit - sur réservation, me contacter par téléphone pour participer.
Retrouvez un article qui aborde la naissance de mon cercle de parole :
Retrouvez l'article sous forme de podcast : onglet contenu/blog
Sources :
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